Tout a débuté un matin quand, à dix heures dix, je fus tiré du lit par l'emmerdeur de service. Mon voisin du dessus, en bon fan d'Elvis, passe ses week-ends à foutre à fond des lives de Memphis. Ah ben non, en fait c'était il y a trois semaines. Alors que j'avais déjà décidé d'aller écouter un concert de chanson française le samedi suivant (j'aime l'éclectisme, surtout le saut en longueur), je suis tombé sur un article de presse annonçant la soirée. Celui-ci était évidemment chargé de faire de la publicité pour les divertissements locaux. En le lisant, j'ai compris pourquoi je ne travaillais pas pour une agence de communication. En effet, sur celui-ci était écrit littéralement : "ce n’est pas le genre de soirée pour s’éclater entre amis". N'ayant rien contre les gens solitaires et dépressifs, cette remarque n'entama pas mon enthousiasme et je me présentai donc à l'heure au rendez-vous de la chanson française. Celle-ci se faisant souiller chaque jour un peu plus, telle une fille de joie en fin de carrière, obligée de solder ses plaisirs pour attirer sa clientèle, j'avais peur qu'elle n'attire plus grand monde. Et Comme je m'en doutais, le public était clairsemé. Je m'installai alors logiquement au milieu de la salle me disant que je me rapprocherais de la scène si quatorze bus de Japonais venaient à arriver suite à un GPS défectueux (ou à une mauvaise blague d'un chauffeur qui serait accessoirement le beau-frère du chanteur).
Alors que j'attendais patiemment le début du concert, un trio arriva et après avoir jaugé le public, se croyant certainement sur une plage de la côte atlantique (fort heureusement pas sur la côte sauvage), décida de s'asseoir juste devant moi, alors que tout le monde restait debout. Quelques minutes plus tard, ils se levèrent enfin pour accueillir Arman Méliès. Celui-ci ressemblait au poète musicien, bien connu des quarantenaires, François Corbier (en ce qui me concerne, étant bien trop jeune pour l'avoir vu à la télévision, je remercie mon immense culture qui vous permet de visualiser un peu mieux notre personnage). Celui-ci, accompagné de deux musiciens, joua de la variété assez énergique. Il avait le même timbre de voix que Gérard Lenormand. La musique, le physique et la voix auraient pu donner un mélange étrange mais les morceaux étaient plaisants malgré un son déplorable qui empêchait de comprendre les textes : un comble pour un concert de chanson française. Heureusement l'attitude du batteur détourna mon attention. Le voyant remonter ses lunettes sans arrêt, il me fit me remémorer une blague ; pourquoi les gens qui portent des lunettes se masturbent plus longtemps que les autres ? (Pour ceux qui ne le sauraient pas, je ne répondrai pas à la question puisque la réponse se trouve juste avant celle-ci). Quand Arman Méliès eut fini sa partie, le trio de plagistes reprit sa position de prédilection et tels des baleineaux échoués sur les côtes de Patagonie, ils gisaient sur la moquette attendant leur sort. Ce qui, d'ailleurs, aurait pu être de très bon goût si le concert avait été gothique. D'après une étude scientifique récente, les animaux qui viennent s'échouer en Patagonie feraient ça pour protester contre l'immigration de chanteurs français qui s'habillent avec des cadavres de crocodiles. Une demi-heure plus tard, le trio comme si on lui avait promis un pot de Danette se releva.
Bertrand Belin pouvait commencer son show. Le son devenu correct, le public appréciait vite ses chansons mais surtout son jeu d'acteur. En effet, chaque morceau était introduit par une petite scène. Parfois des dialogues surréalistes surgissaient au milieu des chansons. La voix oscillant entre Alain Bashung, Charlélie Couture, Arthur H et Joe Dassin augmentait en peu plus le côté décalé du personnage. Le concert était très agréable et amusant au grand dam de tous les dépressifs, qui d'ailleurs ne s'étaient pas déplacés. Avec quelques passages croustillants, on peut dire que Bertrand Belin a fait crackers le public et que la scène pour lui, c'est du gâteau.
Pour les plus curieux, voici des vidéos des références citées :
« Quand est-ce qu'on arrive ?». C'est par ces mots teintés d'impatience, prononcés par un enfant insouciant assis à côté de moi dans une voiture, que je commencerai ce récit. Celui-ci ne m'était pas tout à fait inconnu puisqu'il fait partie de mes nombreux filleuls. En effet, beaucoup de personnes m'adorent et quand elles ont des enfants (les inconscientes), il arrive qu'elles me demandent d'en être le parrain afin que leurs chères têtes blondes (….ou brunes) bénéficient d'un exemple à suivre, d'un mentor, d'un parangon de vertus, d'un guide spirituel, d'un modèle absolu et ainsi puissent avoir une chance de tutoyer la perfection, contrebalançant avec une éducation forcément tâtonnante due aux doutes incessants liés aux vicissitudes de la vie. A l'avant de cette voiture, se tenaient les parents dudit enfant. Afin de préserver l'anonymat de cette petite famille, nous appellerons l'enfant « Petit Ours Brun », et ses parents seront « Maman Ours » et « Papa Ours ». Certains se demanderont pourquoi j'ai choisi ces patronymes et pourront se poser la question encore longtemps puisque je l'ignore moi même. Et pour ceux que ça empêcherait de dormir, nous leur répondrons que l'auteur de cet article n'aura trouvé que cette famille assez mondialement connue et assez politiquement correcte pour faire l'affaire.
Les principaux protagonistes de ce récit ayant été présentés, nous pouvons avancé dans notre périple de deux fois cinq cents kilomètres à travers des villes magnifiques aux noms délicieux (que je ne citerai peut-être pas), en voiture, en train, en métro, à pieds, en hydroglisseur, en cheval à bascule, en tapis volant, en balai magique et en hoverboard. Arrivés à la gare d'Angoulême peu avant midi et l'estomac de Petit Ours Brun étant réglé comme du papier à musique (ce qui est de bon aloi quand on va voir un concert), celui-ci voulu prendre un petit apéritif. Le bistrot de la gare proposait des chips avec une multitude de goûts différents allant des chips au poulet jusqu'aux chips au poulet. Devant ce choix cornélien, Petit Ours Brun décida de prendre des chips au poulet. Le paquet englouti, il s'éclipsa pour la première de ses 744 envies d'aller aux toilettes (c'est donc possible d'avoir des problèmes de prostate à sept ans ?). Dès son retour, nous montâmes dans le TGV qui allait nous mener à Paris.
Quand celui-ci démarra, j'eus vraiment l'impression que le voyage commençait et je fêtai ça avec des sandwiches dont j'ai le secret (ceux qui ont eu le privilège de déguster un de mes petits plats savent de quoi je parle et se lèchent certainement les babines à l'évocation de ce délicieux moment). Laisser la Charente pour quelques heures libéra l'esprit de la famille Ours. Ainsi, Maman Ours remarqua que « le train, c'est bien ! ». Devant mes yeux écarquillés, elle crut bon de préciser « ben oui, c'est vrai, c'est cool de voyager en train... ». Je décidai d'acquiescer mollement pour changer de sujet de conversation. Le trajet se passait relativement bien. L'ambiance était même plutôt joviale quand des voyageurs se moquaient de Nicolas Hulot faisant les annonces dans le train. Alors que Papa Ours et moi même tentions d'occuper Petit Ours Brun, le paysage défilait à la fenêtre, puis l'image se figea. Un problème tout d'abord inconnu obligea le train à s'arrêter. Nicolas annonça quelques minutes plus tard que le problème était électrique. Vingt minutes plus tard, le train repartait pour s'arrêter à nouveau à cause d'un embouteillage de trains à la gare. Puis ce fut une traversée de gnous et enfin la migration des papillons monarques qui nous firent arriver à la gare Montparnasse avec trois quarts d'heure de retard. Le métro nous attendait et nous permit de faire connaissance avec la faune parisienne en nous amenant à l'Appart'hotel que j'avais réservé au cœur de Bercy. Celui-ci était très bien puisque je l'avais réservé...
La famille Ours prenait possession des lieux. Petit Ours Brun prenait un bain, Maman Ours se délassait pendant que j'allais faire les courses avec Papa Ours sous une pluie battante. A la recherche d'un magasin d'alimentation, nous sommes tombés sur quelqu'un nous proposant du travail. Déclinant poliment l'offre, nous ne saurons donc jamais quel type de produit nous aurions eu à écouler ou quelle personne nous aurions eu à nettoyer. Le Franprix trouvé (non par exotisme mais juste parce que c'est le seul magasin que nous avons dégoté) et les courses faites, de retour à l'appart'hotel, nous avons retrouvé Maman Ours se délassant et Petit Ours Brun, toujours dans son bain se prenant pour Flipper le dauphin. Une fois le repas pris, il était enfin temps d'aller écouter Muse à Bercy.
La queue devant la salle était longue (non, SVP, pas de blague merci). Et, alors que nous marchions au milieu des autres spectateurs, une voix me héla (éla hou hou houhou hou houhou, bien que ce ne fut pas un concert de France Gall). Hasard de la vie, un mètre derrière moi se tenait Mumu, une amie d'enfance, que nous appellerons, afin de préserver son anonymat, « Mumu ». Pendant nos sympathiques mais trop brèves retrouvailles, la famille Ours dissertait sur le fait que partout où j'allais, quelqu'un me connaissait et que j'étais une espèce de star locale et que ma notoriété n'était que méritée eu égard à mes multiples talents et à mon incomparable génie. N'ayant pas entendu ces mots, je pouvais entrer dans la salle en toute modestie. Je laissais Petit Ours Brun et Maman Ours s'installer d'un côté tandis que Papa Ours et moi prenions place un peu plus loin. La salle se remplissait petit à petit, même si quelques places restaient disponibles.
Phantogram n'en eut cure (rien à voir avec Robert Smith) et commença à jouer. Dès les premières notes, je faillis tomber, heureusement que j'étais assis confortablement en gradin. Le groupe n'avait pas l'air mauvais, les morceaux étaient même plutôt bons (un style oscillant entre trip-hop joyeux et The Cardigans) mais je trouvai le son excessivement baveux. Papa Ours étant un batteur semi- professionnel mondialement presque connu (la place des mots est très importante), je lui demandai confirmation, et il acquiesça bien évidemment. Quelques minutes plus tard, celui-ci était pris d'une mini quinte de toux. Ce qui aurait dû rester tout à fait anecdotique et n'aurait pas dû être consigné dans ce compte-rendu, si celle-ci n'avait pas transformé Papa Ours en lama. Non, il n'alla pas voir les petites femmes de Pigalle mais comme il était en train de prendre une gorgée de bière, il dû la recracher à la surprise générale. La surprise fut surtout pour la demoiselle assise devant lui qui découvrit, sous l'hilarité du rang de derrière, que la coiffure effet mouillé ne lui allait pas si mal.
Quelques excuses plus tard, Muse entrait en scène. Je trouvais le son tout aussi baveux que celui de la première partie (et accessoirement qu'un nourrisson mangeant une omelette cru). Je décidai donc d'aller faire une pause au troisième morceau pour me reconcentrer. Après avoir donné deux coups de porte à la femme de ménage (qui tentait certainement de me séquestrer et/ou d'abuser de mon corps d'athlète), je sortis des toilettes et regagnai ma place. Mes tympans s'étant habitués au son, je pouvais apprécier pleinement le spectacle. Le show était rodé et les animations nombreuses. Le set faisait logiquement la part belle au très bon dernier album que l'on peut considérer comme un album d'hommages ou de plagiats tant les références sont nombreuses (de Pink Floyd à Marilyn Manson...). Certaines personnes disent qu'il est tellement pompé qu'il aurait pu être sponsorisé par … (cet article étant interactif, vous pouvez remplacer les … par votre actrice porno préférée). A titre personnel, j'aurais adoré entendre plus de morceaux des deux premiers albums (ce qui aurait été simple puisqu'il n'y en a pas eu). J'aurais aussi aimé plus de folie, notamment lors de « l'hommage » à Rage Against The Machine. Pour résumé, le concert était très bien et mes réserves sont dues à la comparaison avec leur concert d'il y a deux ans au Stade de France. En effet, je n'ai pas trouvé l'ambiance aussi phénoménale et les animations forcément aussi grandioses. Par contre la salle est vraiment sympa (et la proximité des toilettes encore plus). Après les deux chansons du rappel, il fallait bien rentrer et profiter d'une courte nuit de sommeil (en effet, je suis allé courir très tôt dans le Parc de Bercy qui est très joli). Après avoir rendu les clés de notre éphémère « chez-nous », la famille Ours a visité un magasin de bonbons tandis que je contemplais les tableaux d'une galerie d'art. Puis, après le déjeuner, alors que nous nous apprêtions à reprendre le métro, une jeune fille qui descendait les escaliers devant nous et qui n'avait apparemment aucun lien de parenté avec Rémy Julienne décida de perdre connaissance et alors que le gras entourant son corps aurait pu amortir le choc, c'est la masse de ladite graisse qui au contraire accéléra sa chute. P étant égal à mg (pour les physiciens), vous comprendrez aisément qu'elle se fracassa allègrement les genoux sur un sol dur et hostile. Nous étions prêts à sortir nos plaquettes pour noter sa prestation artistique (9,5/10 en ce qui me concerne) mais ne les ayant pas amenées, nous nous sommes enquis de son état de santé. Papa Ours alerta les secours et Maman Ours veilla la malheureuse victime sous le regard inquiet et bienveillant de Petit Ours Brun. Étant une petite crevure, je maudissais cette jeune femme sans mot dire en regrettant qu'elle ne se soit pas étalée cinq minutes plus tard. Après trois métros, les secours arrivèrent et nous laissâmes notre éclopée à son triste sort. Malgré ce désagrément, nous ne fûmes pas en retard à la gare et nous nous installèrent dans le train pour le voyage du retour. Quand celui-ci eut démarré, j'allais cherché trois boissons chaudes à cinq cents mètres de là (dans le wagon restaurant) et à la vue du tarif, tentai en vain de négocier les approvisionnements de café pour la SNCF. Assez vite, Maman Ours commença son hivernation puis se réveilla à Saint Stone of Bodies (Saint Pierre des Corps pour les non anglophones). Papa Ours en profita pour lui faire une blague : « Saint Pierre des Corps aux pieds », ce qui la fit excessivement rire (la famille Ours a beaucoup d'humour). De mon côté, je regardais du coin de l’œil un homme d'un certain âge qui avait décidé, comme il avait raison, de déjeuner comme s'il avait été chez lui. Sa serviette autour du coup, il dégusta des œufs durs, une grosse part de pizza, une salade de tomates, une omelette norvégienne puis une pomme bien juteuse qui l'occupa une bonne demi-heure. La fin du trajet, faite d'odeurs et de bruits étranges plus ou moins désagréables (ronflements, aliments en décomposition venant d'on ne sait d'où et d'où on ne souhaite pas savoir d'ailleurs) nous rappela vite à la réalité du quotidien. Même la voix des annonces dans le train se tut pour laisser la place à un brouhaha morsique. Bientôt le train ralentissait et entrait en gare d'Angoulême. Quelques minutes plus tard, je laissai la famille Ours à sa tanière et retrouvai mes crevettes et mes poissons. Puis, en pensant à la journée de labeur qui m'attendait le lendemain, je me demandai si je n'aurais pas mieux fait d'accepter le mystérieux travail que l'on m'avait proposé à Bercy.
Pour les plus curieux, voici des vidéos des références citées :